Le concert du Vincent Périer Quartet, le 5 juin dernier au Café Jules, coïncidait avec la sortie de l’album du même nom. Le concert nous a très favorablement impressionnés et l’album est un bon reflet de ce qui se passe sur la scène. Toute proportion gardée, bien entendu, le jazz est d’abord un spectacle vivant et l’on sait comme les choses peuvent évoluer. Le groupe existe depuis 2009, ce qui donne une idée du degré de maturité du projet, et cela s’entend agréablement à l’écoute.
Pour composer le programme de cet album, Vincent Périer a puisé dans le répertoire du quartet, c’est-à-dire, deux standards, une chanson française et le reste de compositions personnelles, le tout, arrangé par ses soins.
L’album s’ouvre avec Some of These Days. Ce vieux standard créé en 1911 par Sophie Tucker, a été repris par une foule d’artistes aussi divers que Charley Patton, Louis Armstrong, Django Reinhardt, Ella ou Steve Lacy. Les musiciens réussissent néanmoins à en faire quelque chose de neuf. La batterie d’Yvan Oukrid introduit le thème sur un tempo très vif, où le motif de la caisse claire s’oppose au contrepoint de la grosse-caisse, en un ensemble rythmique obsédant. La contrebasse entre à son tour sur un motif intermédiaire avant de reprendre à son compte le motif de la grosse-caisse. Le piano entre ensuite et lie le tout pour préparer l’entrée du ténor. Lorsque le saxophone arrive enfin on est séduit par la sonorité ronde et pleine, les variations qui surprennent, la qualité des graves. On y retrouve, comme dans le reste de l’album, les qualités qu’on décelait, pour certaines, et pressentait, pour d’autres, chez ce saxophoniste, mais plus évidentes, plus affirmées, une grande décontraction apparente et une facilité à se déplacer très vite dans des grilles très fournies en accords. Ajoutons à cela une palette de sons passablement élargie, qui vont de la plus grande douceur au rugissement, du souffle à la vibration, et de l’extrême grave à l’aigu.
Le second titre, Madrigal, c’est un peu la signature de Vincent Périer compositeur. C’est un thème qui accroche l’oreille, que l’on retient avec plaisir, le genre de morceau que l’on écoute en boucle et où l’on découvre à chaque fois quelque chose de nouveau. Comme, par exemple dans le chorus du piano, cette reprise du thème, tout en dissonance, que Rémi Ploton pousse jusqu’au bout au point de paraître en désaccord avec le ténor pour retomber juste, par magie, sur le dernier accord.
Dans le thème suivant, 400 000 bornes, le sax et la batterie tirent nettement du côté du bop, le piano malgré tout arrive à évoquer des teintes cubaines.
Avec Chemin faisant, on retrouve la veine mélodique de Madrigal, avec un traitement très différent. On assiste à une très poétique déconstruction du thème par le ténor.
SVP et A l’air libre, les deux morceaux suivants, sont deux titres que l’on peut entendre comme une expression moderne d’un grand courant qui va de Dexter Gordon à Wayne Shorter en passant par Bird et John Coltrane. Dans le second titre, dédié à Wayne Shorter, on peut entendre un fort émouvant duo entre le piano et la contrebasse de Brice Berrerd.
On peut dire la même chose de Je suis comme je suis, un thème écrit par Joseph Kosma, pour une chanson de Jacques Prévert, chantée par Juliette Gréco. Le traitement bossa nova nous entraîne bien loin de l’original, mais au plus près d’un jazz pétillant, malicieux et chaleureux, finalement pas si éloigné des paroles de Prévert.
Just Friends, standard de 1931, illustré par Charlie Parker et John Coltrane, subit un traitement très birdien, sans les violons et sur un tempo beaucoup plus vif, qui lui redonne une nouvelle jeunesse.
Pour clore l’album le choix s’est porté sur une composition originale, Nocturne, une sorte de ballade, dédiée à Duke Ellington, que n’auraient peut-être pas reniée les compositeurs de musique moderne, ceux de l’époque où la musique occidentale rencontrait le jazz et s’en inspirait. Ce nocturne, comme l’auraient sans doute désigné les romantiques est tout entier sous-tendu par un piano obstiné et une batterie au son de sable fin, qui portent la voix du ténor. Laquelle ne s’absente qu’un instant pour laisser libre cours à la voix profonde de la contrebasse joué à l’archet, avant de clore ce doux moment de rêverie par une brève reprise du thème tout en douceur.
Dans l’ensemble c’est un album où, pour les musiciens et pour le compositeur et arrangeur, le talent le dispute à la maturité. La musique que joue Vincent Périer et son quartet est un jazz qui ne renie pas ses origines mais ne se laisse pas enfermer dans des codes préétablis. Ces musiciens savent faire évoluer le langage et même inventer un nouveau vocabulaire quand l’existant n’est plus suffisant. Il n’est que de les écouter pour s’en convaincre.
Jazz-Rhône-Alpes.com, newsletter n°430, lundi 24 juin 2013